5 Avril 2012 - La forêt une ressource inépuisable ?

Nous sommes en cette région entourés de forêts.

Celles-ci progressent inéluctablement devant le recul des alpages de moyenne montagne, est-ce que pour autant cette ressource est inépuisable ?

Comment trouver un équilibre entre ses besoins à elle pour son développement harmonieux, les besoins de ses hôtes et nos besoins humains tant du point de vue respiration, sport, loisirs que dans l'ordre de nos besoins en ressources en énergies ?

Il faut des millions d'années pour que la forêt produise le support qui lui est nécessaire pour croître et faire croître, son humus, comment lui permettre de se renouveler suffisamment?

Comment la gestion forestière qui a le souci de préserver, pour les générations futures, arrive-t'elle à favoriser l’optimum écologique qui correspond à des forêts vieillies dans lesquelles la vie du sol, donc sa biodiversité, est à son optimum ?

Tous les habitants de ces forêts, nous n'avons pas toujours conscience de leur présence, sont souvent si discrets. Parfois ils font l'objet de nos loisirs, parfois l'exercice de nos loisirs les dérangent, comment pouvons-nous cohabiter?

Enfin la forêt c'est aussi le bois qu'elle produit. Pour avoir accès à ce bois, l'homme doit tracer son chemin, pour que les ressources lui soient utiles, il demande des espèces spécifiques. Est-ce compatible avec la survie de la forêt?

Enfin ce bois est transformé, c'est toute la filière bois qui permet un développement économique d'une région, peut-on vraiment en vivre en moyenne montagne?…

Nombreuses sont les questions que nous nous posons.

Intervenants :

Fabien Bourhis : ingénieur forestier (BTS + Enita de Bordeaux)
responsable de la mission forêt bois - Parc naturel Régional de Chartreuse depuis 2 ans
anime une mission disposant d'un technicien desserte et d'une chargée de mission filière bois
en charge de la charte forestière de territoire (3 axes : gestion forestière ; transformation et valorisation des bois ; demandes sociales) et du volet bois énergie

Jean-Jacques Brun: Directeur de recherche à Irstea-Cemagref Grenoble ; Responsable de l’équipe « Qualité des milieux, indicateurs écologiques, évaluation et suivi des milieux naturels montagnards » au sein de l’Unité de Recherche Ecosystèmes Montagnards.

Gilbert David : Technicien Opérationnel Principal à l’ONF (Office National des Forêts) dans la Drôme sud Vercors Diois ; exerce depuis 38 ans dans divers postes de la Drôme, après avoir effectué des inventaires forestiers aux quatre coins de la France. Responsable dans l’Unité Territorial de la chasse et de l’animation et spécialiste de la Faune Sauvage au niveau Agence Drôme-Ardèche. Impliqué (hors service) dans la protection de la Nature en tant que président de la LPO Drôme (Ligue pour la Protection des Oiseaux). Administrateur au REFORA (Réseau Écologique Forestier Rhône-Alpes) intérêt particulier pour le FRENE (Forêts Rhône-Alpines en Evolution Naturelle).

Parce que plus orienté bois pour Fabris Bourhis, vie des sols pour Jean-Jacques Brun ou écosystème forestier pour Gilbert David, nos trois intervenants ont pu nous éclairer sur divers aspects de l'évolution et de l'utilisation de nos forêts.

Nous allons ici en faire une petite synthèse selon le fil des échanges, sans pouvoir restituer à chacun ses propos, car le dialogue était continu.

Mais en fait qu'est-ce qu'une forêt ? Une dimension, une densité, un type …d'arbres ?


Il n'y a pas une réponse unique, par exemple un même arbre, selon la richesse du sol peut rester arbrisseau ou devenir très grand.


A été introduite la notion de climax [1] qui permet de définir un état stable atteint par un territoire selon à la fois son sol et sa végétation. Par ailleurs selon les usages que l'homme en fait il donnera des définitions différentes, pour l'exploitant de Maurienne, une forêt c'est un bois de résineux qui pourra être coupé selon le besoin, qui en quelque sorte fait tirelire.


Un bois de feuillus ne répondra pas à cette définition, il le qualifiera même de mauvaise herbe.


Il y a donc la forêt selon le forestier, l'agriculteur, celui qui récolte les champignons, le chasseur… celle du philosophe également, en cette année Rousseau on peut rappeler qu'il voyait dans la forêt la puissance de la vie.

La forêt est le miroir de la société, même la forêt amazonienne est le résultat de la vie des Indiens qui ont implanté certaines espèces, transformé les sols.


La sylviculture évolue : s’il y a quelques années était faite l'apologie de la futaie régulière, maintenant c'est vers l'irrégulier que l'on tend. Ceci est le résultat d'amélioration des connaissances.


Citons les vallées vosgiennes qui étaient plantées de pins et ont vu leur sol s'appauvrir, ce sont les pécheurs qui l'ont constaté en premier, car les eaux devenaient stériles.

Par exemple il a été constaté qu'une forêt diverse résiste mieux aux attaques de maladies ou d'insectes qui les détruisent.
Par ailleurs, une gestion durable est préconisée qui s'occupe de prélever les arbres arrivés à maturité en laissant une régénération naturelle se faire.


Quant à l'effet de l'évolution climatique, ce qui est constaté c'est que la sècheresse fragilise les arbres qui alors sont plus sensibles aux attaques (insectes, gui pour les pins du Vercors).


Mais la forêt s'adapte également, dans les zones devenues plus sèches les feuillus s'implanteront : hêtre, érable sycomore, tilleul. Cependant, il est nécessaire de faire dans certaines zones des coupes qui assurent les possibilités d'exploitation.

Espaces ouverts, espaces fermés, la forêt et ses habitants vivent de cette harmonie.


Si nous avons souvent l'impression que la forêt gagne du terrain, en fait un lieu qui se referme peut être compensé par une ouverture liée à un vieil arbre qui meurt, une coupe… et de ce fait les espaces sont mouvants.


Globalement, la surface de forêt est stable en France, elle représente 25% du territoire, ce qui correspond à la surface de forêt qui est de 27% sur les terres émergées.


Le mélange de ces deux types d'espaces est nécessaire, et avant l'homme ce sont les grands mammifères qui entretenaient les clairières. Cela a permis à certaines espèces de se développer, par exemple le tétra lyre, mais si un autre espace se ferme, le grand tétra pourra le coloniser.


L'homme lui-même a éclairci pour cultiver ou pâturer, il n'y a pas toujours nécessité à ce que ces zones restent ouvertes. Il faut favoriser un va-et-vient qui permet la biodiversité.

Quant à la gestion économique de la forêt, la France est le pays d'Europe qui a le plus de feuillus en proportion.


La question de leur exploitation est posée, le résineux se prête mieux aux normes des machines de scieries actuelles. Les scieries semi-industrielles, pour un débit de 10.000 m3 de bois par an, peuvent exploiter les feuillus, mais il n'y en a plus suffisamment et le bois de chartreuse par exemple est vendu en bois de chauffage.


Par ailleurs, ces scieries devraient elles-mêmes se moderniser, par exemple en ayant les moyens de sécher le bois, car plus personne n'achète du bois non sec.


Pour la construction, c'est le résineux qui est utilisé, les scieries qui leur sont dédiées ont été transformées, car elles ont des débits de niveau industriel. Il est une bonne source de revenus, mais il ne faut pas sous-estimer les ressources provenant de certains feuillus de qualité, par exemple en Chartreuse l'érable ondé dont la valeur d'un arbre est celle de 10 he de résineux (utilisé pour la fabrication des violons).


Le bois énergie (branches ou sciure pour les granulés) est en concurrence directe avec le bois de papeterie. La France a beaucoup de ressources, cependant il y a beaucoup d'exportation dans ces domaines.


Quant au bilan carbone, il est difficile à évaluer. Le transport sur route est coûteux énergétiquement et les scieries industrielles souvent loin du transformateur, alors que le transport bateau est moins coûteux et donc peut être compétitif quant à ce bilan.

Il y a une compétition entre l'exploitation de la forêt pour son économie ou pour sa durabilité.


En effet, les normes industrielles nécessitent des implantations régulières et homogènes; or la survie des sols et des arbres nécessite la diversité.


La création d'un sol nécessite des millénaires comme nous le montre l'évolution des anciennes vallées glacières. On a constaté que le processus de régénération s’étend sur une durée d'une à deux générations d'arbres si le corps du sol n'est pas perdu.


La dégradation d'un sol par monoculture peut être très rapide si celui-ci est acide. La matière organique y est très vite consommée. Il faut être d'autant plus prudent pour ces milieux.


D'autant que l'exemple de nos ancêtres nous montre que des civilisations ont disparu parce que leur sol avait disparu.


C'est la forêt qui fabrique le sol, il faut donc l'exploiter à bon escient. La matière organique produite par les forêts est capable de faire face à des contraintes variées.

Nous ne connaissons pas les contraintes auxquelles la planète sera soumise, il faut donc préserver et enrichir la biodiversité pour que l'adaptation puisse se faire.

Maintenir le potentiel évolutif sera le mot de la fin.