La restauration des œuvres d'art est un domaine qui peut faire intervenir la chimie, mais également des techniques très spécialisées telles l'irradiation ou l'imagerie médicale.
Quelques objets du patrimoine religieux du centre hospitalier de Saint-Egrève vont bénéficier de ces traitements grâce à l'intervention de l'Atelier de Recherche et de Conservation Nucléart du CEA. ("ARC-Nucléart")
Quelles sont ces techniques ? Comment procède-t-on aux restaurations ?
Comment choisit-on les objets qui seront susceptibles de bénéficier de ces traitements?…
Karine Froment et Sophie Dupisson sont venues répondre à nos questions à partir de leurs expériences dans ce domaine.
Karine Froment, expert(e) international(e) du CEA, Directrice d'ARC-Nucléart depuis un peu plus de 2 ans, a passé la majeure partie de sa carrière dans le domaine de la Recherche sur les matériaux, et est spécialisée depuis quelques années dans le domaine du bois.
Sophie Dupisson, attachée de conservation du patrimoine, missionnée sur l'inventaire mobilier et des objets d'art non protégés au titre des Monuments historiques, au département de l'Isère. Cette institution s'est dotée d'un service d'inventaire, d'archéologie et d'expertise et conseil sur le patrimoine bâti et mobilier depuis 1992. http://www.isere-patrimoine.fr/408-sites-patrimoniaux.htm
Le Centre Hospitalier Alpes-Isère (CHAI) de Saint-Egrève fait l'objet de réaménagements importants dont la construction de nouveaux bâtiments. Ceci a induit l'intervention d'archéologues qui ont sondé avant restructuration du terrain. A cette occasion un inventaire du patrimoine immobilier et mobilier a également été demandé par le CHAI au Département. Au sein de cet ensemble un grand nombre de pièces de mobilier sont considérées comme remarquables. Elles ont fait l'objet d'un rapport. Parmi ces pièces plusieurs étaient exposées dans l'ancienne blanchisserie. C'est le cas d'un tabernacle en bois sculpté, à ailerons, du XVIIIe siècle, de 120cm de haut environ. D'autres sont réparties dans des bureaux. Ainsi, deux boiseries sculptées de 80*60cm environ, représentant le Massacre des innocents et Jésus au temple, sans doute du XIXe.
Ces trois objets ont été considérés comme devant être restaurés. C'est ainsi qu'ils sont aujourd'hui entre les mains d'ARC-Nucléart pour un constat d'état et une proposition de restauration.
Cet inventaire a également permis de constater que dès 1849, et plus régulièrement à partir de 1860 (en 1858 l'établissement devient départemental) le mobilier de l'hôpital était systématiquement inventorié. Quelques archives ont pu être réunies et sont consultables aux archives du patrimoine de l'Isère.
ARC-Nucléart, localisé dans l'enceinte du CEA est une structure indépendante (GIP).L'équipe est constituée conservateurs-restaurateurs, mais également de chimistes, de physiciens, d'un biologiste, et d'un conservateur du Patrimoine.
Sa mission patrimoniale est la restauration d'objets organiques (surtout de bois, mais aussi cuirs, fibres végétales, os…) scindés en deux classes, ceux qui sont gorgés d'eau ou humides (type épave ou petits objets), et ceux qui sont secs (type sculpture polychromée). La recherche de nouveaux traitements de conservation, et la mise à disposition des compétences à destinations d'industriels divers font également partie de ses missions.
La problématique de conservation est différente qu'il s'agisse d'un bois humide ou d'un bois sec. Dans le premier cas, il convient de le consolider et de le sécher, avant restauration. Dans le second cas, une consolidation est souvent nécessaire avant l'étude et la restauration du bois mais aussi de la polychromie.
Le plus ancien traitement de consolidation du bois séché ou déjà sec est la polymérisation d'une résine composée de styrène et de polyester, sous rayonnement gamma, dont la source est du 60Co. Le traitement consiste en une imprégnation, suivie d'une irradiation permettant de faire durcir la résine.
La cellule d'irradiation a une dimension de 4*4m avec une porte de 1m de large permettant de traiter des objets de grande dimension. Cette technique a été mise au point en 1970 par un ingénieur du CEA, et a été utilisée pour la consolidation du parquet de l'Hôtel Lesdiguières (ancienne salle des mariages) de Grenoble, ainsi que pour la consolidation de très nombreux objets trouvés dans le lac de Charavine. Ces fouilles sub-lacustres ont « alimenté » ARC-Nucléart pendant de nombreuses années, le dernier objet restauré ayant été restitué début 2016.
Le rayonnement gamma est aussi utilisé pour son pouvoir biocide, c'est-à-dire permettant de désinsectiser ou de débarrasser des moisissures, bactéries,… les œuvres contaminées.
D'autres traitements d'imprégnation sont aussi utilisés pour les bois archéologiques humides, consistant en une imprégnation d'une résine en solution (Poly éthylène Glycol), suivie d'un séchage par lyophilisation (congélation puis évaporation de la glace sous vide).
Les restaurations d'objets secs polychromés peuvent faire l'objet d'études détaillées, concernant l'état de leur structure et de leur polychromie. Dans le cas de repeints, les restaurateurs doivent déterminer quelle est la couche qui doit être valorisée, comment procéder. Pour analyser ces différentes couches il est fait appel à des examens variés (loupe binoculaire, prélèvements, examens microscopiques, radiographies ou scanner (via un accord avec le CHU pour les 2 dernières techniques).
Les traitements de consolidation et les restaurations doivent respecter, autant que faire se peut, l'un des principes déontologiques de la conservation-restauration qui est la réversibilité : les restaurations doivent pouvoir être reprises, le traitement doit être réversible du mieux possible, excepté si l'objet est en grand péril !
A ce jour les recherches sur les traitements portent essentiellement sur deux axes.
- Le remplacement du styrène dans la résine styrène-polyester. Ce produit est amené à faire partie d'une liste de produits interdits à l'avenir, en raison de sa toxicité. ARC-Nucléart travaille au remplacement de ce composé, et a déjà identifié des candidats potentiellement intéressants.
- Le problème de l'acidification des bois archéologiques. C'est une des plus grosses difficultés actuelles rencontrées par les collections archéologiques. Elle est liée à l'oxydation, une fois à l'air et à l'humidité ambiante, des sulfures ferreux qui se sont formés pendant l'enfouissement. L'un des produits de cette oxydation est l'acide sulfurique, bien connu pour être très agressif, et qui détruit les collections de manière irrémédiable. ARC-Nucléart, comme d'autres structures dans le monde, travaille donc sur des traitements préventifs et curatifs afin d'éviter la formation de l'acide ou d'en limiter l'action néfaste s'il est déjà formé.
Cet inventaire a également permis de constater que dès 1849, et plus régulièrement à partir de 1860 (en 1858 l’établissement devient départemental) le mobilier de l’hôpital était systématiquement inventorié. Quelques archives ont pu être réunies et sont consultables aux archives Départementales de l’Isère (cote : 11X).